Native d’Annecy (Haute-Savoie), Lisa Bourbon est professeure contractuelle d’anglais et vit avec les séquelles invalidantes d’un trouble du spectre de l’hypermobilité et un autisme Asperger. Férue de naturopathie qu’elle étudie actuellement, elle apprécie les loisirs créatifs et participera au concours dans la robe de soirée qu’elle aura conçue et cousue elle-même, avec des tissus de récupération. Elle participera le 11 mai prochain à la finale du concours national au titre de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Question : Qu’est-ce qui vous a motivée à vous lancer dans ce concours ?

Lisa Bourbon : Je dirais deux choses. Ça fait plusieurs années que j’ai un compte sur Instagram sur lequel j’essaie de sensibiliser autour du handicap, donc c’est vraiment une occasion pour moi de continuer à le faire, et peut-être à une plus grande échelle. Pour moi le but de ce concours est de trouver des représentants, des porte-parole. Et puis ensuite, c’est le rêve de petit fille d’être élue Miss !

Question : Vous êtes une jeune professeure d’anglais à Grenoble, ville plate et qui semble aisément accessible pour les personnes handicapées motrices…

Lisa Bourbon : Oui et non. Certaines parties de la ville sont effectivement vraiment accessibles. Après, il faut se dire que même si les trottoirs sont accessibles, la plupart des commerces en centre-ville ont des marches. Grenoble est assez accessible, par exemple pour se déplacer en transports en commun, mais pour profiter de la ville c’est un peu plus compliqué.

Question : Vous enseignez dans un collège et lycée, comment cela se passe-t-il avec les élèves ? Dans le cadre scolaire, vous êtes plutôt debout, plutôt assise ?

Lisa Bourbon et Saskie ©Dream_pix_38

Lisa Bourbon : J’alterne. Ça se passe très bien avec les élèves ; ils sont dans un contexte d’apprentissage, ils ne réagissent pas à ce que vous leur expliquez alors que les adultes ont tendance à être très ancrés dans leurs opinions. Donc je leur explique que j’arrive parfois en fauteuil roulant, mais que je peux marcher. Je leur laisse la possibilité de me poser des questions, du coup les élèves se sentent mieux compris, surtout ceux qui ont des handicaps invisibles ou des aménagements.

Question : Il peut y avoir quelques affinités à cet égard puisqu’on considère qu’entre 5 et 10% des élèves d’une classe relèvent d’une gène significative voire d’un handicap…

Lisa Bourbon : Oui, mais je n’utiliserais pas le terme « affinités. » Il y a, en tous cas, un lien qui s’établit.

Question : Entre enseigner en collège-lycée et vous exposer dans un concours de beauté qui commence doucement à être connu, qu’est-ce qui vous a fait sauter le pas ?

Lisa Bourbon : Je ne sais pas s’il y avait un pas à sauter. En fait, j’ai découvert le concours l’an dernier quand les candidatures étaient closes, donc je me suis inscrite pour cette année. J’ai tendance à faire les choses dont j’ai envie et ne plus me poser trop de questions ; quand on a un handicap avec des difficultés au quotidien, enfin moi j’essaie de lâcher un peu prise, je me suis dit « bah ! Ok, fais-le », et c’est tout.

Question : Quels autres pas avez-vous sautés dans votre vie ?

Lisa Bourbon : Je n’ai que 23 ans mais je suis déjà professeur. Il faut savoir que du coup je n’ai pas un parcours classique. J’envisage de reprendre les études pour obtenir un master, vis-à-vis de mes handicaps il était assez compliqué d’étudier en présentiel à temps plein, puisque je travaille à temps partiel. J’ai décidé d’arrêter à la licence et de commencer à travailler, ça a été une grande décision, il y a les grands pas et puis il y en a de plus petits. Par exemple s’habituer et accepter d’être en fauteuil. Une grande décision dans ma vie a été d’adopter une chienne, Saskie, et qui est finalement la meilleure décision que j’ai prise. Elle allait à l’encontre de ma famille, qui me disait que ce n’était pas une bonne idée, qu’il fallait s’en occuper, etc. Alors que ma chienne, j’en parle beaucoup, dans les interviews comme sur Instagram. Elle m’apporte énormément de soutien et d’aide. Ce n’est pas un chien d’assistance, malheureusement, parce que c’est un peu compliqué en France.

Question : Vous travaillez à mi-temps partiel, ça veut dire rémunération partielle alors que les salaires dans l’Éducation nationale sont loin d’être mirobolants. C’est facile à vivre ?

Lisa Bourbon : Du coup, j’ai l’Allocation Adulte Handicapé, donc je cumule les deux. Mais c’est sûr, je n’ai pas un train de vie, non plus, disons que je ça me suffit pour vivre.

Question : Vous voulez mettre en avant, on en parle beaucoup en ce moment, les handicaps invisibles. Qu’est-ce que qu’est-ce que vous souhaitez plus particulièrement faire avancer ?

Lisa Bourbon : C’est vraiment les mentalités, mais il y a quelque chose que j’aimerais pouvoir mettre en place en France et qui a été créé au Royaume-Uni : Hidden Sunflower, un tour de cou vert avec des tournesols dessus qui permet de montrer discrètement qu’on a un handicap invisible. Il est reconnu dans plus de 200 aéroports à travers le monde, notamment en Belgique, en Allemagne, en Italie, et en France pas du tout [sauf par Air France NDLR]. C’est quelque chose qui s’accompagne de toute une mentalité au niveau du service, quand je vais au Royaume-Uni je ne vais pas avoir besoin de justifier, montrer ma carte, et les gens vont être plus bienveillants et aider. Et puis d’un autre côté, c’est toute la mentalité qu’on n’a pas en France avec les personnes qui ont un handicap peu visible. Ce que j’essaie de transmettre, ce n’est pas juste la représentation du handicap mais quelque chose de plus global : être bienveillant les uns envers les autres.

Laurent Lejard, mars 2024.

Le concours Miss et Mister Handi France aura lieu le 11 mai 2024 à l’Espace Mitterrand, 1 rue François Mitterrand à Billy-Berclau (Pas-de-Calais).

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